A l'occasion d'une discussion lors de la préparation de l'exposition, Giulia Andreani, de retour de Meisenthal où grand nombre des travaux présentés ici ont été conçus, a convoqué une référence assez inattendue pour étayer son propos : Le Requiem pour un jeune poète du compositeur allemand Bernd Aloïs Zimmermann. Créée en 1969, l'œuvre en question est une espèce de patchwork polyphonique superposant des sources hétérogènes où des extraits du Canto LXXIX d'Ezra Pound sont mélangés à des citations, entre autres, de Joyce, Camus, Benn, Brecht mais aussi de Wittgenstein auxquelles s'ajoutent des bribes d'enregistrements de Mao, Dubcek, Hitler, Goebbels, Jean XXIII et Churchill, le tout enveloppé par un tissu orchestral tramé de sons électroniques et jazz.
Le Requiem, rarement donné en concert — il le sera en juin à la Philharmonie de Paris—, évoque effectivement l'esthétique échafaudée depuis plusieurs années par Giulia Andreani. Et ce à deux niveaux: à titre individuel, la plupart de ses œuvres se caractérisant par un sens du montage, selon les cas plus ou moins discret, mais aussi dans une perspective intertextuelle, peintures et dessins de cette artiste se répondant et formant un tout, quand bien même dissociable, qu'elle ne cesse d'alimenter.
Ce qui rapproche enfin son propos de celui du compositeur allemand est cette manière, presque désinvolte, de conjuguer des sources «légères» et «graves», des références «superficielles» et «profondes». Giulia Andreani n'est pas sans le savoir: une fois désolidarisée de son contexte et/ou de sa légende, l'image est un signe suspendu et orphelin sur lequel on ne saurait porter de jugement fiable et encore moins définitif.
On en veut pour preuve cette composition sobre et peu spectaculaire s'intitulant La gifle. Deux athlètes y sont représentés dans un mouvement qui nous donne la trompeuse impression d'être synchronisé. Nous savons d'après les sources dévoilées par l'artiste que nous sommes en compagnie ici d'une lanceuse de disque participant à une compétition sportive sur le territoire palestinien, prise en photo par Liselotte Grschebina en 1937, et de Erwin Hubert, discobole nazi immortalisé par Leni Riefensthal un an auparavant. L'une comme l'autre peuvent se vanter d'avoir un physique avantageux et photogénique et se sont en conséquence fièrement pliés à leurs objectifs respectifs. Mais leur identité de même que celles de leur photographe, sans même parler des lieux où ils ont été photographiés, les rendent bien entendu incompatibles. Réunis au sein d'une même image et d'une chorégraphie de circonstance, les athlètes juive et allemand sont donc fédérés par la traduction picturale et ses nuances de gris qui font écho aux sources photographiques.
Les œuvres de Giulia Andreani sont innervées de telles rencontres improbables et autres télescopages qui désamorcent les références initiales afin de les soumettre à des relectures qui nous incitent à interroger les liens entre images fixes ou en mouvement et l'histoire.
Pièces à conviction, documents, fiction et réalité: ces notions sont mises à rude épreuve dans son œuvre. D'où l'intérêt qu'elle affiche pour des genres qui n'ont cessé de se situer au croisement de celles-ci, à l'image du Nouveau Réalisme italien dont nombre de captures d'écran figurent dans sa base iconographique.
On mentionnera enfin que cette exposition est placée sous l'autorité et la présence fantomatique de Hannah Höch. Rappelons que cette artiste dadaïste avait su à sa manière, dans un environnement certes différent et tout particulièrement hostile — elle avait du faire face et à l'animosité de ses confrères mâles et du régime nazi —, renégocier des images hétérogènes à des fins tout aussi stimulantes et entêtantes que celles qui nous sont données à voir ici.
Tout geste est renversement
21 mars-25 avril 2015
Paris 3e. Galerie Maia Muller
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