À partir de fragments d'images minutieusement collectées au gré de ses lectures, Éléonore False crée un répertoire de formes et de gestes auquel elle applique tout un ensemble de procédures (agrandissement, découpe, évidement, incises, répétitions) que l'artiste envisage dans un rapport sculptural à l'espace dans lequel ces images viennent trouver une nouvelle configuration. Son intérêt se porte plus particulièrement sur les représentations du corps et engendre un répertoire de gestes dans lequel l'artiste va puiser, qu'ils soient issus par exemple de la danse, de l'histoire de l'art ou des livres de médecine. Le traitement systématique en noir et blanc permet à l'artiste de brouiller les pistes quant aux époques et aux provenances de ces fragments, l'effet produit sur le spectateur est bel et bien celui d'un trouble devant des images tout à la fois familières et énigmatiques, dans l'incapacité que nous sommes de les situer sur un plan spatio-temporel.
Il suffit de son bras soulevé pour arrêter et faire reculer le soleil, le titre de son intervention au Mrac, est une citation extraite de Marcel Proust dans Du côté de chez Swann, dans lequel le narrateur analyse sa lente remontée du sommeil, entre rêve et réalité. Si la référence à Proust vaut surtout pour la musicalité de la citation et ce qu'elle suggère en termes de mouvement du corps dans son rapport au soleil, il n'est pas incongru de voir dans les obsessions proustiennes une démarche qui peut nous éclairer sur celle de False. Chez Marcel Proust comme chez Eléonore False en effet, l'identité est par essence fragmentaire, et pour se recomposer, le sujet se soumet alors à sa propre dispersion, s'obligeant à briser un confortable modèle d'unicité.
Son installation pour le Mrac met ainsi en miroir deux images issues du fond iconographique de l'artiste: l'une représente un homme de profil du peintre italien de la Renaissance Piero Di Cosimo, dont Éléonore False répète le motif du nez; l'autre provient d'une performance de l'artiste californien Paul McCarthy qui se traîne au sol, laissant derrière lui la trace de son avancée, un mouvement du corps rejoué et augmenté par l'installation de l'œuvre entre sol et mur.
Installé à l'entrée du musée, passage obligé du public vers les expositions, l'installation de Éléonore False nous fait donc naviguer dans les eaux troubles et passionnantes de notre histoire de l'art, entre la posture altière du personnage de Botticelli et celle à la limite du ridicule de Paul McCarthy, ou comment à travers les âges, les postures corporelles nous en disent long sur la représentation que nous nous faisons de nous-mêmes.
«J'extrais, je découpe, j'incise, je sépare, j'agrandis, je réduis, je plis, je mets à mal les images que je prends en les mutilant et en les démembrant. Je les sors soudainement de leur contexte pour les faire dialoguer avec ma pratique. C'est par ces moyens d'appropriation que je redonne une forme de vie aux images. [...]
Je re-contextualise et re-spatialise un autre corps sensible par des gestes chirurgicaux sur le papier. Le rapport du corps à l'espace d'exposition est essentiel et il est révélé par cette remise en mouvement de ces documents d'archives.
Une fois passées au noir et blanc, ces images perdent symboliquement une partie de leur spécificités historiques, leurs différences s'estompent et elles s'unifient. Les pièces qui sont conçues dans l'espace de l'atelier viennent ensuite se placer dans l'espace d'exposition et y cherchent leur place. Pour s'installer elles empruntent au registre spatial du décoratif (motifs chromatiques sur les murs, choix de disposition des pièces) et du grotesque (qui par l'humour les humanise) et leur permettent d'être perceptibles, tout en restant autonomes.»
Eléonore False
Eléonore False
Il suffit de son bras soulevé pour arrêter et faire reculer le soleil
15 mars-07 juin 2015
Vernissage le 14 mars 2015
Serignan. Mrac Languedoc-Roussillon
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